Pour Kaa c’en est trop, un frisson de volonté le traverse. Il se lance de la falaise. Il le sait, il doit laisser durer sa chute le plus longtemps possible pour gagner de la vitesse. Son angoisse augmente à mesure qu’il tombe. Il a envie de fermer les yeux pour ne pas voir ce vers quoi il se jette. Maintenant, il n’y a plus que de l’eau, plus un seul endroit sûr sous ses pattes. A cette vitesse, l’air siffle. Si ses muscles ne réagissent pas, son corps va s’enfoncer dans l’océan. Kaa redresse enfin, ses plumes frôlent la surface et font valser des gouttes lumineuses autour de lui. Là-bas Kii ne bouge plus. La mer monte et des vagues régulières déjà la trempent, le rocher sur lequel elle repose sera bientôt engloutit. Kaa bat des ailes sans relâche. Au loin une onde sournoise se lève lentement, promesse d’une vague gigantesque. Une course s’engage, il doit rejoindre Kii avant cette lame. Son corps a bien changé depuis ce jour d’été si funeste. Il n’était alors qu’un oisillon qui s’amusait avec les poussins de son âge. Tous ligués contre lui, ils le poussèrent dans un bassin, par jeu probablement. Quand il tomba dans l’eau, Kaa comprit qu’il ne s’en sortirait pas seul. Ses ailes engluées ne lui servaient à rien, ses pates frêles patinaient en vain. Autour de lui, les poussins riaient. Pas un n’eut l’idée de le sauver. Il se serait noyé si son père ne l’avait pas repêché. Ce jour-là, sa confiance envers les autres sombra à tout jamais.
